LXI. SPLEEN
Je suis comme le roi
d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant,
jeune et pourtant très-vieux,
Qui, de ses précepteurs
méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses
chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer,
ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant
en face du balcon.
Du bouffon favori la
grotesque ballade
Ne distrait plus le
front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelisé se
transforme en tombeau,
Et les dames d'autour,
pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver
d'impudique toilette
Pour tirer un souris de
ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait
de l'or n'a jamais pu
De son être extirper
l'élément corrompu,
Et dans ces bains de
sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux
jours les puissants se souviennent,
Il n'a su réchuffer ce
cadavre hébété
Où coule au lieu de
sang l'eau verte de Lethé.
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, 1837.
LXI. SPLEEN
Yo soy como el monarca
de un lluvioso país,
Rico, pero impotente,
joven, pero muy viejo,
Que, de sus preceptores
menospreciando halagos,
Se aburre con sus
perros como con otras bestias.
Nada puede alegrarle,
ni venado, ni halcón,
Ni su pueblo que muere
enfrente a su balcón.
La grotesca balada del
bufón favorito
Ya no distrae la frente
de este enfermo cruel;
Su cama engalanada se
transforma en sepulcro,
Y las damas de corte,
que aman a todo príncipe,
Ya no saben que
impúdicos vestidos estrenar
Para hacer sonreir a
este tierno esqueleto.
Los sabios alquimistas
no han conseguido nunca
Estirpar de su ser la
parte corrompida,
Ni con baños de sangre
que nos vienen de Roma,
Y que en su ancianidad
los pudientes practican,
Han sabido caldear tal
pasmado cadáver
Donde en lugar de
sangre fluye agua del Leteo.
Charles Baudelaire
(Versión de Pedro Casas Serra)
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