LXVI. LE JEU
Dans des fauteuils
fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil
peint, l'oeil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant
de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de
pierre et de métal;
Autour des verts tapis
des visages sans lèvre,
Des lèvres sans
couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés
d'une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide
ou le sein palpitant;
Sous de sales plafonds
un rang de pâles lustres
Et d'énormes quinquets
projetant leurs lueurs
Sur des fronts
ténébreux de poëtes illustres
Qui viennent gaspiller
leurs sanglantes sueurs;
Voilà le noir tableau
qu'en un rêve nocturne
Je vis se dérouler
sous mon oeil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin
de l'antre taciturne,
Je me vis accoudé,
froid, muet, enviant,
Enviant de ces gens la
passion tenace,
De ces vielles putains
la funèbre gaîté,
Et tous gaillardement
trafiquant à ma face,
L'un de son vieil
honneur, l'autre de sa beauté!
Et mon coeur s'effraya
d'envier maint pauvre homme
Courant avec ferveur à
l'abîme béant,
La douleur à la mort
et l'enfer au néant!
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, 1837.
LXVI. EL JUEGO
En ajados sillones las
cortesanas viejas,
Blancas, cejas
pintadas, mirar tierno y fatal,
Coqueteando, y haciendo
de sus largas orejas
Caer un tintineo de
piedra y de metal;
Junto verdes tapetes
imágenes sin labios,
Labios descoloridos,
mandíbulas sin dientes,
Y dedos poseídos de
una fiebre infernal,
Registrando el bolsillo
o el pecho palpitante;
Bajo mugrientos techos
baterías de arañas
Y de enormes quinqués
proyectando destellos
En tenebrosas frentes
de poetas ilustres
Que vienen a gastar sus
sudores sangrientos;
Es éste el negro
cuadro que en un nocturno sueño
Se fue desarrollando
ante mi ojo adivino.
Yo mismo, en un rincón
del antro taciturno,
Me vi acodado, frío,
callado y deseando,
Deseando de esa gente
la pasión pertinaz,
La fúnebre alegría de
aquellas viejas putas,
¡Todas tan bravamente
presumiendo ante mí,
Unas de su honor
rancio, otras de su belleza!
Y se aterró mi alma de
envidiar pobres gentes
Corriendo con fervor al
insondable abismo,
Quienes, hartas de
sangre, preferirían en suma
¡El dolor a la muerte
y el infierno a la nada!
Charles Baudelaire
(Versión de Pedro Casas Serra)
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