lunes, 10 de agosto de 2015

“Les fleurs du mal”, LE JEU, de Charles Baudelaire

LXVI. LE JEU

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, l'oeil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pierre et de métal;

Autour des verts tapis des visages sans lèvre,
Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poëtes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;

Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vielles putains la funèbre gaîté,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beauté!

Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme
Courant avec ferveur à l'abîme béant,
Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme
La douleur à la mort et l'enfer au néant!

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, 1837.


LXVI. EL JUEGO

En ajados sillones las cortesanas viejas,
Blancas, cejas pintadas, mirar tierno y fatal,
Coqueteando, y haciendo de sus largas orejas
Caer un tintineo de piedra y de metal;

Junto verdes tapetes imágenes sin labios,
Labios descoloridos, mandíbulas sin dientes,
Y dedos poseídos de una fiebre infernal,
Registrando el bolsillo o el pecho palpitante;

Bajo mugrientos techos baterías de arañas
Y de enormes quinqués proyectando destellos
En tenebrosas frentes de poetas ilustres
Que vienen a gastar sus sudores sangrientos;

Es éste el negro cuadro que en un nocturno sueño
Se fue desarrollando ante mi ojo adivino.
Yo mismo, en un rincón del antro taciturno,
Me vi acodado, frío, callado y deseando,

Deseando de esa gente la pasión pertinaz,
La fúnebre alegría de aquellas viejas putas,
¡Todas tan bravamente presumiendo ante mí,
Unas de su honor rancio, otras de su belleza!

Y se aterró mi alma de envidiar pobres gentes
Corriendo con fervor al insondable abismo,
Quienes, hartas de sangre, preferirían en suma
¡El dolor a la muerte y el infierno a la nada!

Charles Baudelaire
(Versión de Pedro Casas Serra)

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